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2020-12-07T14:48:55+01:00

Une charmille à quatre arceaux

Publié par montanié julie

Une charmille à quatre arceaux

Voilà de quoi assurer (pour les vingt prochaines années) le charme parc de château italien du croisement qui fait face à la pharmacie des Brotteaux.

Chaque fois que je lis "Place Général-Brosset" pas loin de cette charmille, je me demande si Michel Berger, en écrivant/ jouant "Diego libre dans sa tête" pensait à ce personnage ou à un autre héros né en Amérique latine. L'an dernier (il y a deux ans?), une commémoration rappelait la Libération de Lyon. Musique militaire, édiles drapés de bleu-blanc-rouge,  scouts qui vendaient des calendriers, vieilles dames assises sur les bancs du jardin de jeux dont l'une m'a dit qu'elle avait été invitée. Personnellement. Elle était très en dimanche. D'ailleurs c'était dimanche. Pendant le discours  en plein air, il me semble avoir entendu l'orateur dire:  Diego a été aussi un écrivain de talent.

Au début du deuxième confinement, j'ai acheté à la Librairie du Parc la presque intégralité de la série de Jacques Morize dont l'élégante jaquette noire surplombe des vues photographiées de quartiers. "Le diable de Montchat" a la plus jolie, avec ses façades jaunes, roses, blanches où le soleil donne, des maisons modestes à un étage dont l'arrière cour abrite à coup sûr un jardin, un arbre soigneusement entretenu. "Les martyres de Montplaisir", "Crimes à la Croix-Rousse", "Rouge Vaise", "Mourir à Ainay", "Le fantôme des Terreaux", "L'inconnu de la Tête d'or" voilà les titres.  J'étais sûre de descendre la série en deux jours-deux nuits, pour le plaisir de faire la connaissance du commissaire Séverac. Surtout  pour me promener dans des endroits inconnus où mettre les pieds dès que l'autorisation de dépasser le périmètre quotidien (un kilomètre) serait délivrée. J'avais oublié que je n'aime pas les policiers. A part Agatha Christie, réputée avoir le génie de la logique,  une femme à la vie extraordinaire - épouse d'un jeune archéologue qui l'emmena en Egypte, pour la consoler de  l'échec  de son premier mariage,  dont j'ai surtout adoré l'autobiographie-. Simenon, psychologue hors pair. San Antonio qui résumait avec son Béru du siècle dernier, l'essence de l'âme lyonnaise. L'idée de Jacques Morize:  les enquêtes du commissaire Séverac "s'organisent toutes autour d'un arrondissement de Lyon" est excellente et ses histoires les plus anciennes datent d'environ 2015 (Editions AO, André Odemard, Villeurbanne, www.ao-editions.com).

Mais j'ai préféré finir "Vous n'aurez pas les enfants" de Valérie Portheret, préfaces de Serge Klarsfeld et Boris Cyrulnik (août 1942, "L'incroyable sauvetage des enfants juifs du camp de Vénissieux" -Document- X0 2020), recommandé par une dame parente d'une jeune fille sauvée et "Miarka" d'Antoine de Meaux ("Le destin exceptionnel de Denise Vernay, la soeur aînée de Simone Veil", Phébus, 2020). Les deux évoquent aussi Lyon. Le livre de Valérie Portheret présente une image merveilleuse de la solidarité lyonnaise, du coeur de ces membres d'oeuvres sociales parvenus à secourir la totalité des 108 enfants, 471 êtres humains en tout, sur 1016 Juifs étrangers arrêtés en Rhône-Alpes. Mais "Miarka" développe un parcours de vie - à peine esquissé en germe par le livre de Valérie Portheret, qui a pourtant suivi les enfants survivants, leurs résiliences, sur lesquelles elle écrira peut-être encore un jour- en vrai roman géographique, historique urbain. Un article du "Progrès" 7 novembre 2020 signé Nicolas Ballet, cadre la trame narrative de la résistance de Denise Vernay selon le plan suivant: - Place des Jacobins (Lyon, 2 ème), - Avenue de Saxe (Lyon, 3 ème), -Rue Claudius- Pennet (Lyon, 3 ème) où la jeune fille, agent de liaison, loge dans un réduit misérable, - Place Bellecour (Lyon, 2ème). Le siège de la Gestapo où elle sera torturée après l'arrestation en Saône-et-Loire, transférée à la prison de Montluc (3 ème) se trouvait en effet Place Bellecour, côté ouest. Miarka  a été déportée par la gare de Perrache. A Ravensbrück, elle fait partie du  "groupe des Françaises" dont Antoine de Meaux cite le descriptif par Germaine Tillion, "ethnologue spécialiste du monde berbère, membre du réseau du Musée de l'Homme, [qui se donne] pour mission d'étudier le système concentrationnaire à partir de l'exemple de Ravensbrück. Grâce aux détenues affectées aux postes administratifs, elle collecte des informations qui lui permettent d'analyser, derrière l'apparente désorganisation du camp, le système économique mis en place par les S.S" (p.176). Après 1967, Miarka mère d'enfants déjà grands, devient secrétaire de Germaine Tillion, qui l'accueille dans son séminaire de l'Ecole pratique des hautes études. "En 1976, elle soutient un mémoire intitulé 'Un regroupement de Français musulmans. L'atelier de tissage de Lodève", étude-enquête de 200 pages consacrée à une communauté de harkis de l'Hérault" (p.232).  A Ravensbrück, Denise a rencontré Mila Racine, passée par Montluc aussi, qui cache comme elle une identité susceptible de l'envoyer à Auschwitz et a fait partie d'un mouvement de jeunesse transférant "pendant plus de vingt mois des dizaines d'enfants juifs en Suisse". La biographie insiste sur l'activité d'éclaireuse de Denise qui a donné forme à sa résistance, sur les "carnets intimes" (une occupation passible de peine de mort) qu'elle a rédigés, cinq mois après son arrivée au camp.  Elle y prend des notes sur la psychologie de la vie carcérale, qui est celle de la vie tout court: "faim, chaleur ou même une petite joie, une vraie bonne nouvelle, une conversation intéressante ; le tout suffit à nous donner un moment d'euphorie extraordinaire; même un sourire peut vous mettre dans un tel état. Inversement, une mauvaise nouvelle, une mauvaise soupe, une réaction désagréable [...] Nous devenons des baromètres d'enfant qui passent du bleu au rose à l'humidité" (p.172).

Un fils de Miarka, Laurent Vernay, vit dans l'Ouest Lyonnais où il est hôtelier. Il dit avoir éprouvé à la lecture de ce livre - acheté en partie sur la foi de son interview, Progrès du 7 novembre- "une émotion durable". Sur une photo de jeunesse en exclusivité dans "Le Progrès", la beauté de sa mère adolescente était extraordinaire. Elle était plus belle même que sa petite soeur devenue ministre, qui pourrait l'imaginer? Aura-t-on bientôt "une rue ou place Denise-Jacob-Vernay" à Lyon?  "Contactée par Le Progrès, Florence Delaunay, adjointe EELV à l'Egalité femmes-hommes, s'y dit très favorable."

Chaque fois que je longe les plaques de Villeurbanne commémorant ces fusillés même pas majeurs du temps (entre 16 et 19 ans), pourquoi ai-je en tête la rugosité de la voix de Marc Ogeret chantant les soldats en direction du front, Première guerre mondiale : "Déjà la pierre pense où votre nom s'inscrit/ Déjà vous n'êtes plus qu'un mot d'or sur nos places[...] Déjà vous n'êtes plus que pour avoir péri". Aragon sans doute. Marc Ogeret venu donner un récital au Palais du Travail à Narbonne. Le disque est dédicacé. La salle n'était pas comble, dans la ville alors la plus anciennement socialiste de France, 75 ans de votes socialistes ininterrompus, quand ça a cessé, je devais être étudiante, des journaux nationaux ont même évoqué la fin d'une dictature.... Ma mère m'accompagnait, sans doute avait-elle cédé à ma supplication d'y assister, elle m'a offert le disque. C'était le temps où je lisais et apprenais par coeur n'importe quoi, pourvu que ça rime ou assone.

 "Miarka" évoque au passage des gardiennes SS  férues d'élégance - française - quand elles ne portent pas l'uniforme, exploitant gratuitement le travail de couturières exceptionnelles. Elle porte donc aussi un éclairage social-économique, celui de l'esclavage, sur "Moi, Dita Kraus, la bibliothécaire d'Auchswitz" (traduit de l'anglais, USA, par Eric Betsch, 2020, Michel Lafon). Un gardien demande à la prisonnière de 14 ans habile de ses doigts de confectionner pour sa propre enfant une poupée. D. Kraus s'exécute, profitant, c'est vrai, durant son bricolage, d'un bâtiment presque chaud, de l'opportunité de chiper de la nourriture. Le récit de sa vie à Prague, avant la déportation, a évoqué ses jeux d'enfant tchèque disposant à domicile d'un théâtre de marionnettes. L'après déportation la montrera  de retour à Prague, ses parents assassinés, puis émigrant en Israël où elle devient cordonnière dans un kibboutz, avant de coudre des robes pour sa propre fille, morte adolescente. On tremble de songer que le gardien qui a aidé D.K en lui procurant un peu de bien-être, se conformait à un système permettant aux enfants de nazis de se procurer distractions et culture au détriment de ceux qu'on tuait quelques mètres plus loin. Explicitement d'ailleurs la question est abordée dans la première partie du livre. Une petite amie de D. Kraus en route pour un camp lui donne ses livres et des jouets dont elle aime mieux la faire profiter que de les savoir aller droit dans le sac aux cadeaux d'enfants nazis. 

Pourquoi lire des choses si atroces? Il y a deux ans, le livre de Robert Badinter sur sa grand-mère "Idiss" m'a appris des détails sur l'éducation des filles au début du XXème siècle en Bessarabie (Fayard, 2018). Je ne savais même pas que Robert Badinter était, en somme, d'origine roumaine... Suite à l'obtention du prix des "Inrockuptibles" par un livre d'Aharon Appelfeld, j'ai lu en ligne le début du roman de sa traductrice française, Valérie Zenatti: "Quand j'étais soldate". Valérie Zenatti est née à Nice, elle a passé son bac en Israël. Elle raconte que les candidats au bac doivent y apprendre par coeur des détails concernant le fonctionnement des camps d'extermination pendant la Shoah, celui des sélections qui tuent ou laissent vivre, colonne de droite, colonne de gauche etc.

On apprend  dans "Miarka" que les prisonnières les plus haïes par les gardiens de Ravensbrück ou Mauthausen étaient les femmes soldates de l'Armée rouge, et les plus maltraitées, parce que non couvertes par la Convention de Genève. Que le nom de code de l'historien Marc Bloch, fusillé près de Lyon, était "Narbonne". Que André Jacob, le père de Simone Veil et de Miarka, qui était architecte (second Prix de Rome) méprisait Le Corbusier, pour des raisons de style . Le détail a été éclairé par un souvenir de voyage organisé en Italie l'an dernier - Lac de Côme -, avec les Amis du Musée . Au fil des rues, le guide italien a raconté que Le Corbusier cherchant du boulot et ne sachant plus à quel saint se vouer - si on ose dire- a proposé ses services à Mussolini. Le Duce a décliné la proposition. Des comme ça, il en avait d'autres ... L'anecdote m'avait semblée improbable. A présent, j'y crois mordicus. Et regrette de n'avoir pas mieux remercié et félicité ce guide... Si par hasard, il me lit... 

 

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