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2021-07-15T15:04:34+02:00

Double biographie réussie

Publié par montanié julie

Débordante de symétries comparatives comparées.

Un poète face à un peintre. Un natif de Grenade face à un Catalan. Un plutôt laid introverti (Ian Gibson signale qu'à l'époque "introverti" avait aussi le sens d'"inverti"), un beau qui se révèle vite délirant. Un homosexuel déterminé face à un refoulé dont on pouvait écouter médusé. e la confession TV ,dans une pièce près de sa suite/ labyrinthe chaulé blanc de Port Lligat : "Comme je suis très catholique..." Oublié ce qu'il racontait ou commentait: ses  toiles hantées d'obsessions, sa réaction face à Gala réclamant : "Faites-moi crever...", les élans don quichottesques le menant à pourfendre les pastèques ou melons suspendus dans le grenier de sa maison d'enfance du "Journal d'un génie" - lu quand j'étais en maîtrise, je me souviens d'une séquence que je trouvais tout sauf rafraîchissante: le peintre  à 13 ans dans son grenier, bouche ouverte sous les fruits  qu'il venait de violenter à coups de bâton pour en recevoir le suc, à l'insu de sa mère qui devait contrôler les carafes d'eau entreposés dans l'entresol.

Le livre se nomme "Lorca-Dali. Un amour impossible". L'auteur est Ian Gibson, traduit de l'espagnol par Valérie Leteinturier, Stanké, collection L'heure de la sortie, imprimé au Québec en 2001. Acheté à Figueres, il y a trois-quatre ans, au sortir du fabuleux musée aux oeufs sur le toit, qui voyait défiler des cohortes de touristes dans le couloir de velours noir, où des châsses incrustent les joyaux inouïs, minuscules, qu'elles exhibent. Le livre de Ian Gibson insiste sur la passion du peintre pour la petitesse graphique, il a même failli être recalé au Concours d'entrée de son Ecole de dessin parce qu'il ne se conformait pas à l'échelle de représentation des objets de l'examen! Et aussitôt, flash,  on se rappelle les 211 tableaux  petit format- aujourd'hui au musée Hyacinthe Rigaud de Perpignan- légués par Me Rey. L'esthétique de Dali est elle devenue catalane, l'était- elle depuis toujours? Les joyaux du musée de Figueres sont-ils ou non des objets décoratifs, bibelots, menues machines acérées, mécanismes, filigranes d'or, d'argent incrustés de pierres précieuses etc., créés à New-York pour la première fois par AVIDA DOLAR? Ou autre chose? Par exemple des fantasmes de capillaires corporels, des figurations incarnées 3D de tatouages?  

Au début du bouquin, Dali écrit à Lorca qu'il a mangé à Cadaquès une tête de poisson à l'huile jaune Tintoret, avec des miettes de pain: autant de menues horloges.  

Dali travaille beaucoup. "Il se consacre à ses cours avec une volonté de fer et s'enferme dans sa chambre sitôt rentré l'après-midi. Il ne dépense pas un sou et passe la matinée du dimanche au Prado." (Gibson, p.131). Il s'occupe à pourlécher du pinceau/langue de vipère des tableaux travaillés comme à la pince à épiler, au cheveu, ou à noter par écrit les étapes de leur avancée. Tout ce qui est organique le fascine, surtout la pourriture et les putregais, les pourris, les gens qu'il hait ou envie. Comme il a lu Freud  déjà traduit en espagnol, l'ambivalence est garantie. Lorca travaille tout autant, brille le soir dans les cafés comme un "diamant en feu" poèmes, théorie, conférences, nostalgie de habaneras -c'est un très bon musicien, pianiste, guitariste- cigares cubains, un voyage en Amérique mais à près de 30 ans, il attend de son père qu'il subventionne ses séjours à Madrid et l'entretienne. Aucune importance car cet homme est riche, au moins au début de  cette histoire jumelée.  

Au début de ses études, Lorca loge à la Résidence, lieu paradisiaque comme un campus de Ivy League à ses débuts. Il  y écrit à son père de longues lettres  un peu mensongères sur son acharnement à créer en économisant. Un printemps, visite chez Dali à Cadaquès . La rencontre/ séjour est devenue célèbre. Il y reste trois semaines, inspiré par le paysage et la soeur du peintre - très belle et gentille-. Nourri, logé, cela va sans dire, il prouve sa reconnaissance en tentant de violer l'hôte dont il est amoureux fou. Mais l'anecdote n'est pas sûre, c'est peut-être une hypothèse... En revanche, l'adolescente brillante élève en dessin, possédée devant Dali qui contrôle et surveille le déroulement de cet acte quasi- diabolique, semble une histoire vraie. On se croit en Russie. Maiakovski,  Lili Brik, soeur d'Elsa Triolet et le mari. Fascination du trio érotique glauque: mélange de nostalgie du didactisme en tout domaine et du rêve d'abolir les transactions d'argent quand l'amour entre en jeu ... L'icône politique blasphématoire est plausible aussi, ces anticléricaux étant communistes.  Pas les parents de la fille sans doute, car elle disparaît de l'Ecole dès la deuxième année en dépit de son talent, de ses notes excellentes pour épouser un phalangiste vite tué. Le biographe mentionne qu'on ignore ce qui est advenu d'elle. Sans nul doute, tous s'en moquent. Pas de vertu, pas d'avenir et bien sûr elle est coupable. On est en Espagne, et bien chez des surréalistes. Ou au coeur de la poésie d'Eluard, avec sa "victime raisonnable à la robe déchirée".

Dali ne brille pas par la tendresse, sauf peut-être envers Gala, à cause de qui son père le déshérite. Ian Gibson voit en elle une garce intéressée, à l'inverse de Dominique Bona dans sa biographie de la Russe (1996), plaidoyer en faveur d'une incomprise au rayonnement certain. La fusillade de Lorca par les franquistes est saluée d'un terme qui claque au vent. "L'artiste affirmera qu'en apprenant l'assassinat du poète, il se serait exclamé 'Olé', utilisant ce mot comme on fait en tauromachie, pour exprimer son admiration pour une passe exceptionnelle. Lorca, obsédé par la mort, avait accompli son destin à la perfection". (Gibson, p.384, cité d'après le "Journal d'un génie").

"Lorca- Dali" est une démonstration sérieuse. Ses développements puisent aux meilleures sources: - oeuvres  littéraires de Dali, publiées en France avec commentaire, notes de Michel Déon, 1961/ 1964, - celles de Lorca parues en deux volumes, la Pléiade, à partir de 1981-. Les citations  théoriques, critiques du peintre, prouvant sa sensibilité aux nouveautés et son ambition intellectuelle, sont  nombreuses. On découvre sans surprise qu'en 1928-29, il hait Pol Valéri (sic) - il a appris le français mais en maîtrise mieux  l'oral que la graphie-, sans qu'on sache pourquoi il en fait un porc. Mon hypothèse -chromatique-: Valéry a les yeux bleus et cet azur lui évoque aussi bien le cochon de Larionov, bleu près d'une palissade grise. De même que le jaune Tintoret se voyait convoqué par l'usage à table  de l'huile d'olive... Il méprise Gide davantage encore que le poète sétois.  Il doit avoir une dent contre le Gard, la Provence  ou juste le Languedoc, sans doute inspirée par ses années de collège car il a voyagé à Béziers, ou a eu un prof de français d'origine biterroise:  "Je viens de lire les poésies (?) de Pol Valéri et le livre que Paul Souday a écrit sur ce cochon. Paul Valéry présente les signes de la pire putréfaction - rien de plus ennuyeux que son intellectualisme - nous devons absolument faire abstraction de CETTE RACAILLE (en italiques). Un Gide, surtout SI LE GRAIN MOEUR (sic), peut posséder l'intensité d'un cas PERSONNEL absurde (biographisme et rien de plus)  mais même pas capable d'éveiller notre intérêt. Gide aussi est barbant; on n'en a rien à foutre de sa vie, qui est au fond la même que celle d'une CHANTEUSE de CABARET et qui, par contre, s'avère incapable de nous émouvoir de façon SAINE [...]" (Gibson, p.295)

Plus loin, il affirmera (morale artistique Proletkult persistante? extension à la littérature du concept design?): "Radiguet, c'est mieux que Proust, mais hélas, c'est inutile." Il détaillera le rôle joué par Lorca sur sa propre production picturale, en 1964, dans "Journal d'un génie": "Au fond, mes idées ont été en grande partie influencées par cette espèce de masse confuse, grouillante et entière qu'est la poésie de Garcia Lorca ... Je n'ai fait que les développer et comme je suis légèrement phénicien, j'ai longtemps spéculé sur les idées  qu'il lançait d'une manière confuse, avec une générosité réellement étonnante. J'y ai réfléchi, je les ai systématisées, je les ai rendues intelligibles, intelligentes; en effet, Garcia Lorca, comme la plupart des grands poètes, était très peu intelligent. C'était le phénomène de la poésie pure, très proche, d'autre part, du phénomène folklorique et populaire." (Gibson, p. 415).

Le biographe insiste sur la mauvaise foi affichée par "La vie secrète de Salvador Dali", cette "autobiographie mégalomaniaque". Sur le reniement de sa vénération initiale pour Breton, sur le gommage de son flirt avec le parti marxiste catalan, sur sa charge contre Bunuel, sur sa vantardise concernant Picasso présenté en ami intime,  sur l'affectation de stoïcisme concernant ses difficultés financières (et celles de Gala), "omettant de mentionner tous les dons substantiels qu'ils reçurent d'aristocrates et d'autres bienfaiteurs français" (p.403).

Et enfin Amanda Lear... château de Pubol en feu... les cinq dernières années de vie dans la Torre Gorgot/ Galatea, annexe du Théâtre -Musée à Figueres où il mourra enkysté...

C'est triste comme le funèbre château de Pubol, ce vrai mouroir visité un jour de pluie, dans sa splendeur sobre et rouille, une limousine noire encore au garage, un électrophone incongru posé au sol dans une pièce garnie de meubles quasi- médiévaux, parodie de décor pour une nouvelle version de "La Belle et la Bête"... scénario d'après Dali, d'après Bunuel, Lorca, d'après le XXème siècle, ses disques, ses téléphones, sa fée Electricité, ses villages rasés pour ériger des barrages, ses trams, ses avions, ses véhicules, ses frigos, ses caméras, ses cinémas, pas encore son plastique mais ses mines de métaux rares déjà entrailles à l'air. 

Je tombe parallèlement sur une brochure imprimée en Espagne par Beta, Barcelone, ouvrage publié avec le soutien de la Région Occitanie Pyrénées Méditerranée, Indigène éditions, octobre 2020. Sous le titre "Pour une littérature combattante", quatre articles de Simone Weil, destinés à des publications syndicales (non marxistes, non capitalistes). -"Antigone" (précédé  de l'avant-propos de Jacques Cabaud "Antigone entre en usine"),1936, - "Lettre aux Cahiers du Sud sur les responsabilités de la littérature", - "Pas de propagande pour la France coloniale"/ "Lettre à Jean Giraudoux" (ébauche,  deux brouillons manuscrits de cette lettre, conservés dans le fonds S.W de la B.N.F), - "Morale et littérature", signé Emile Novis (1944), paru posthume, dans les Cahiers du Sud,  publié sous son vrai nom dans l'ensemble "Souvenir de Simone Weil" (1947). Trois euros 90 cents.

Simone Weil ne rejette pas Valéry, elle le respecte à l'inverse pour sa juste estimation, vers la fin des années -30, de mots en train de se dégrader("ceux qui ont rapport au bien"). Pour elle, le début du XX ème siècle a vu un "phénomène vraiment nouveau dans l'histoire de l'humanité": "L'affaiblissement et presque l'évanouissement de la notion de valeur". Le surréalisme catalyserait une telle orgie de déferlante barbare. "Le dadaïsme, le surréalisme sont des cas extrêmes. Ils ont exprimé l'ivresse de la licence totale, ivresse où plonge l'esprit quand, rejetant toute considération de valeur, il se livre à l'immédiat. Le bien est le pôle vers lequel s'oriente nécessairement l'esprit humain, non seulement dans l'action mais dans tout effort, y compris l'effort de la pure intelligence. Les surréalistes ont érigé en modèle la pensée non orientée; ils ont choisi pour suprême valeur l'absence totale de valeur. La licence a toujours enivré les hommes, et c'est pourquoi, tout au long de l'histoire, des villes ont été saccagées. Mais le sac des villes n'a pas toujours eu d'équivalent littéraire. Le surréalisme est un tel équivalent." (Lettre aux Cahiers du Sud sur les responsabilités de la littérature, Pour une littérature combattante, p.19)

Des phrases si moralisantes qu'on a presque honte de les recopier mais qui sonnent clair comme le Mont Saint-Clair.

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