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en ce temps-là ?

Une mère aimait raconter que dans les Hautes Pyrénées de son enfance, un grêlon avait frappé le front d'un âne debout, attaché au bout de sa longe dans le champ devant la maison, lors d'un orage, et qu'il l'avait tué. Précisément quand on ne se croit pas poète, on peut éprouver tant de considération pour Francis Jammes ("J'aime l'âne si doux marchant le long des houx") qu'on voit aussi ses vers comme des consignes comportementales humain/ animal en cas de météo troublée.

Et les matières thermorégulantes choisies d'emblée dans les marchés... Un garçon né prématuré ou tout juste viable en hiver, en montagne avait été placé dans un réceptacle grand comme une boîte à chaussures, dans un nuage de coton, de ouate ou de kapok - encore un mot utilisé par cette mère savante en noms de tissus, de fils, de laine, de matières qui se cousent, se tricotent, se mangent ou soignent -. On l'avait logé près du feu de cheminée dans la  grande pièce de la maison enfouie sous la neige. Il avait été réinstallé ainsi jour après jour jusqu'à ce qu'il prenne des forces. Voilà donc comment cette mère montagnarde du début du XXème siècle avait sauvé seule son premier fils.

Vallées des Pyrénées ruisselantes de gaves et de Neste que les orages enflaient pour les précipiter. On se demandait sur le coup de minuit si le torrent n'avait pas définitivement emporté votre père parti en début d'après midi avec son panier gibecière, ses cuissardes de caoutchouc vert. Il était passionné de pêche au lancer ou autre, passait des heures planté en plein milieu d'un flux qui devait le rafraîchir, à lutter contre les trombes pétaradantes, en vue de leur arracher des truites. Mais non, une voiture ronronnait sous la lune à nouveau claire dans le ciel redevenu clouté d'étoiles. Il surgissait, légèrement hagard de voir tout le monde réveillé pour constater qu'il était bien vivant, la cage d'osier sur son flanc contenait en effet deux, trois truites pas grosses. A l'époque déjà, il ne devait pas être seul à pratiquer ce sport. On pouvait s'endormir, une fois encore on ne serait pas orphelin demain. "Tu crois qu'il est cabourd de pêcher la nuit comme ça?" Demandait un enfant ou plutôt un adulte, un enfant n'aurait pas osé un tel manque de respect… "Il y a des choses dont mieux vaut ne pas parler". Ce devait être pire que les secrets de la mer Rouge, ces questions de risque en montagne, ces histoires de démesure du comportement masculin, d'un besoin de dépense physique dont nulle femme, nul enfant (sous entendez "normal") n'aurait jamais l'idée... Le lendemain, la mère broderait au soleil, assise dans la cour, un ou deux enfants à ses pieds. Il s'agissait d'un napperon, d'un col de chemisier de fille, une campanule bleue au bout de sa tige verte, deux feuilles soutenant la clochette de la fleur, qu'on porterait à la rentrée des classes après un mois de vie vécue dans un milieu qui vous bâtit une santé de fer. 

Les fruits du lieu vers la fin août? Non pas des raisins ou des figues comme là où l'on habitait durant l'année, mais des noisettes. On n'avait pas besoin de grimper dans le tronc de l'arbre pour les cueillir (mais on pouvait le faire pour rêver d'installer dans la coupole un nid, une cabane à oiseaux). On se contentait de courber une branche pour l'éplucher, la décharger de ses bouquets serrés vert pâle. Puis, les poches remplies, on passerait le reste de l'après-midi  dans un coin de la cour, pas loin du groupe qui brode et parle, à concasser, écraser les écorces à peine rousses, entre deux pierres plates, et à manger jusqu'à ne plus avoir faim du tout à l'heure de dîner.  

Vallée d'Aure, vallée d'or, aux eaux si pures et tranchantes qu'elles avaient dû faire naître l'image de l'épée Durandal, avalée par quelque géant de pierre, dans une gorge gargantuesque habituée à engloutir aussi des ronces et des veaux? On était en effet pas loin du secteur de Roncevaux.