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2020-04-29T13:52:15+02:00

Péans pour Pindare.s

Publié par montanié julie

Dans quel roman de Colette l'image des skieurs rejoignant leurs chambres d'hôtel, après la clôture des pistes, m'a-t-elle frappée par sa mélancolie? Les pistes désertées, on prévoit l'ombre bleue en train de virer au gris, au noir profond, on touche le froid qui augmente sur la balustrade du balcon, la croûte de glace en train de recouvrir la surface jaunie, striée de tracés parallèles et puis - anachronisme - l'arrivée de la dameuse quand le noir envahira tout, le gyrophare dans la nuit à regarder jusqu'à plus soif parce que c'est aussi cela, la fête des vacances: ce qui se passe sur les pistes, une fois les pistes fermées.

Les skieurs revenaient donc "leurs grandes ailes repliées sur l'épaule" et on imaginait l'écrivaine impotente comme au temps du "Fanal Bleu", jouissant par procuration de l'air glacé qui augmente l'envergure des poumons, d'articulations souples, de muscles rassasiés par l'exercice du jour, prêts à s'abattre sur un lit pour recommencer tôt le lendemain à voler de piste en piste, de collines de bosses en boulevard facile, où se regrouper schuss… mais il y a de fortes chances pour que Colette ait écrit sur le ski de France d'avant les années -50,  les années de J.0 1952 à Oslo "berceau du ski". "Trente nations, avec 732 participants, vont concourir. La flamme olympique est allumée dans la maison de naissance de Sondre Norheim (en région de Telemark), avec, pour dernier relayeur de la flamme, le petit fils de Nansen. Pour la première fois, l'ouverture des Jeux est proclamée par une femme: la Princesse Ragnhild de Norvège"(p. 29), voir "L'épopée du ski...6000 ans déjà". Elisa Giacomotti: scénario, Geoffroy Gillespie: dessins et couleurs, Coll. Chamonix Mont-Blanc, Editions Elisa, 2014. Une BD achetée juste avant le confinement, comme l' oeuvre complète de Marguerite Yourcenar dans la Pléiade (Gallimard, 1982) commandée en vitesse chez Decitre, arrivée en carton éventré dans ma boîte, deux jours après le 17 mars quand les librairies avaient déjà fermé -mais les livres sont intacts -...

Je voulais vérifier si "L'oeuvre au noir" - parlait de peste.  Dans les listes littéraires à thème d'épidémies, "La Peste" de Camus arrivait en tête, et pas de mention de Yourcenar. Je n'ai trouvé  ni le temps ni l'envie de relire "L'oeuvre au noir" mais j'ai avalé "Pindare" que son auteur. e trouve insuffisant. Pourquoi? On est saisi par la grâce du récit, le talent narratif, l'atmosphère ensoleillée, l'évocation de chroniqueur sportif, en somme, qui se pique de vanter la beauté des jeunes, leur talent, leur courage. Un poète habité par une musique verbale pareille au chant des muscles. Il navigue de stade en stade, son attirail de scribe avec lui partout, de pont en pont de bateau, vraiment un avatar des peintres itinérants d'autrefois, de l'Angelo Bronzino de Dominique Fernandez dans "La société du Mystère" ' -Livre de poche, 2019-, ou bien des violoneux centre-européens errant de fête en fête dans le Moyen-Age improbable de n'importe quel romantisme... Mais non, "Pindare" n'est pas comme ça…  ET M. Y n'y donne pas non plus dans le misérabilisme, le vertige imaginaire, le brossage baroque d'une fresque ethnique/ géographique aux motifs dépareillés, comme "L'année prochaine à New -York - Dylan avant Dylan-"  d'Antoine Billot, Arléa, 2017...  Mais pourquoi dénigrer un livre que je laisse tomber chaque semaine depuis un mois après en avoir parcouru dix pages… Il a tant de charme - pour ses infos vraies ou inventées, son style compliqué - que huit jours après, j'y reviens… Avec "Pindare" donc, Marguerite Yourcenar poursuit un motif scolaire sur fond de Parthénon et de lyres (?) homériques: surlignage de lumières blondes, de senteurs de miel, de serpents, de perfidies au citron, de claquements de vols de gypaètes, de vent du large, silhouettes de discoboles, garçons faisant la course, vainqueurs à la lutte, vainqueurs à la course des chevaux montés, vainqueurs à la course des garçons (comme si les courses de filles  existaient à l'époque) dont elle parle avec moins de sous entendus que si elle s'appelait  Winckelmann.

Oui, Yourcenar est vraiment bonne. Je préfère "Pindare" aux "Nouvelles Orientales",  à "Feux",  et à "d'Alexis ou le Traité du Vain Combat". "Pindare" est même plus facile à lire que "Les Mémoires d'Hadrien". J'ai donc déterré en supplément "Pindare/ Olympiques, tome 1", Les Belles Lettres, Paris, Budé, 2017, acheté dans le hall de l'Institut Lumière lors du festival "Cinéma, Sport et Littérature". Texte établi, traduit par Aimé Puech, Membre de l'Institut.  La biographie introduisant au volume est un délice. Chaque fois que je vois un tel nom accolé à un de l'antiquité grecque, je ressens la même impression de sécurité et d'indifférence-. Inutile de se fatiguer à représenter la région où on a été en classe, d'autres l'ont fait avant nous… Golfe du Lion… Visage de Monsieur Pellicer face aux élèves de première année de lettres classiques, l'hiver juste avant mai -68, - bonté, intelligence, indulgence-, à nouveau une assistante commente l'aura d'un gros livre -sa thèse-, tout juste si on savait le sens du mot…: "Natura et Phusis" qui a expédié son auteur dans la Voie Lactée, son nom à présent brille près de celui d'Aristote, Platon, Socrate, Archimède mais l'assistante nous conseille dans le couloir - après la manif de l'Amphi I, dont nous sortons sans avoir rien compris aux harangues... Pelouse couverte de guitaristes à demi couchés pas loin du resto U Vertbois -. Donc elle conseille de regarder du côté des gauchistes parisiens qui ont quand même une autre niaque … C'était juste le lendemain des manifs Sauvageot etc.  Les années suivantes, dans les bacs des disquaires de Montpellier: Melina Mercouri, un nom couplé avec Jules Dassin, Nena Venetsanou, Mikis Theodorakis, Manos Hadjidakis, tellement plus nostalgique mais depuis trois, quatre ans déjà, "Zorba" avec Anthony Quinn (vu en juillet à Saint-Lary, au moins l'affiche) et le sirtaki cartonnaient…  Atahualpa Yupanqui en livres bilingues, comme Cicéron ou Plutarque, ce n'était que justice, ses disques dans "Le chant du monde": "Campesino", "Soy libre, soy bueno", "El pintor", Unamuno "Le sentiment tragique de la vie" en poche etc. Ecrire des centaines de pages pour analyser deux mots ("Natura" et " Phusis"). Qui sait? Des milliers de pages, si on compte les brouillons, et conserver un sourire comment, en fait? amusé? en coin? poli? apolitique? réservé? secrètement engagé? au quotidien, même au mois de juin, de septembre, avec ces grèves partout…  des grèves commencées dans l'antiquité grecque (avec Lysistrata). Et le "Chant des Oiseaux" joué par Pablo Casals, n'était ce- pas une commémoration comme certaines A.G, surtout à l'époque, avec Franco de l'autre côté? Et depuis Ax-les-Thermes, sur une piste d'Andorre, quatre ou cinq ans plus tard, on la verrait bientôt la différence radicale - tout étant politique - entre certain. e. s qui serraient les dents comme aujourd'hui Martin Fourcade, montant en canard quel que soit le dénivelé, au lieu de se ruer sur les remonte-pentes dont le prix n'est pas donné non plus!!! Car "partout va resplendir, grâce à l'arène d'Olympie, la gloire de Pélops. Là se juge la vitesse des jambes et la hardiesse endurante de la force. Puis le vainqueur, toute sa vie, savoure le miel de la félicité." (p.31),"Première Olympique", ed . A. Puech, Budé, 2017, première édition 1922, corrigée juin 1930.

En avant dernier: les "Mémoires olympiques" de Pierre de Coubertin, préface de Pascal Boniface, première édition 1931, Bureau international de pédagogie sportive, ed. Bartillat, 2016. La "religion du sport" mentionnée dans un discours (p.228) à Olympie, en 1927, avec ses romanciers: Montherlant, Kessel… "Le sport n'est pas un objet de luxe: il est l'apanage de toutes les races"(p.233). ("Légendes, chapitre XXIV".) Le chapitre "l'Appel aux Lettres et aux arts", en 1906 (p.84) mentionne l'invitation "à venir étudier dans quelle mesure et sous quelle forme les arts et les lettres pourraient participer à la célébration des olympiades modernes et, en général, s'associer à la pratique des sports pour en bénéficier et les ennoblir" (p.92), avant l'existence d'"olympiades ouvrières" en doublure de "l'organisation capitaliste"(p.232). Combien d'interprètes du rôle/ de la fonction/ du métier de Pindare sur les ondes, en films, en disques, en reportages, en livres au XXème et début du XXIème? Lola Lafon - avec Nadia Comaneci -, Werner Herzog, -un film sur le saut à ski en Autriche vu il y a deux ans environ à Lumière-, "La solitude du coureur de fond" de quel romancier anglais, combien encore? Qui commente aujourd'hui, où, en quels termes, l'absence de JO à venir? J'aimerais bien les lire, vraiment. Déjà quinze jours au moins que je ne vois plus de joggeurs de ma fenêtre, ni le matin, ni le soir.

En dernier lieu, Proust, en pose. u. r de Pindare…

Ironique? Même pas, sans doute. Il regarde de jeunes golfeurs à Cabourg et compose une ode à leur groupe, sur papier à en-tête du Grand Hôtel. Pareil à Colette face aux skieurs, il voit leurs ailes. "Comme à l'automne on voit tant et tant d'hirondelles/ Se joindre, consulter en agitant leurs ailes/ Ainsi tous rassemblés en groupes peu modestes/ Vous poussiez de grands cris, en faisant de grands gestes/[…]Puis les mots criés forts, de golf, de championnat/[…] Parfois Delaunay seul et plus mélancolique/ Au visage d'une pureté très classique/[….] Se promenait ainsi qu'en Grèce un jeune sage […].

Toutefois, une page plus tôt, tout est limpide déjà, la beauté des jeunes sportifs lui fait entrevoir une postérité de lecteurs, de créateurs semblables à lui. "Ce soir je pense à vous, jeunes gens de Cabourg./Qui, quelque jour peut-être aimeront plus d'un livre /De moi, lorsque j'aurai cessé de vivre[…] Qui sait si l'avenir, sous vos faces rieuses/ Ne cache pas de grandes choses sérieuses/ Et si de ces golfeurs, agrandi par l'amour,/Ne se détachera pas un poète, un jour!" (p.159-160). Photo bien choisie, dans le médaillon sépia typique début XXème, pour la couverture de ce volume :"Marcel Proust, Le mystérieux correspondant et autres nouvelles inédites", Edition de Luc Fraïsse, Fallois, 2019. Un jeune homme si faible, si benêt dans sa douceur épuisée, l'effort produit pour sourire ... On pense surtout  à l'effort fourni dès l'enfance, pour respirer, couché de jour, avec des livres, des cahiers, la compagnie de sa mère, de sa grand-mère, de Françoise. Le temps volé pour sa prétendue pétulante, extravagante vie mondaine de jeunesse, n'a pas dû être plus abondant que le temps passé en classe, au lycée (il était absent la plupart du temps, pour maladie) et pourtant, baccalauréat, examens, deux licences même, avant ou en parallèle de  ses livres.... Si on ne peut pas appeler ça du sport ...

 

 

 

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