Au Musée d'art contemporain de Lyon, premier étage, expo de Christine Rebet ("Escapologie") visible du 15 septembre 2021 au 2 janvier 2022.
Les six récits filmés de Christine Rebet sont à suivre à l'intérieur de six maisonnettes/ cases de béton différentes, percées de portes et fenêtres originales où la lumière pénètre, tamisée ou non. Chaque abri diffère en tout détail des cinq autres. Un est fait de légères parois translucides/ opaques, barrées de clayonnages noirs: cloisons coulissantes de maisons japonaises ou colonnes faisant office de lampes quadrangulaires. Des écrans sertis dans l'habitat.
Tantôt en boîte TV montrant une double histoire déroulée devant deux fauteuils, à l'intérieur d'une chambre de cuir sombre frappé de plumes de paon ("The Black Cabinet" -2007-, animation sur 2 écrans filmée en 35 mm puis numérisée, son, 3'50"). Une narration de jeu montrant des "aristocrates" en tenue de soirée, autour d'une roulette blanche et rouge. Ils sont surmontés d'un timbre poste où un garnement piétine, enragé de voir leur addiction le conduire au champ de bataille où il porte son drapeau de soldat.
Ou bien le récit s'étale sur un mur illustré de mots et images qui explosent en flaques aquarellées. C'est le cas des quatre autres films, peu intelligibles sans lecture du commentaire à moins qu'on ne se laisse guider par l'accompagnement de la bande son.
Le premier abri -en rondins, près de la porte d'entrée - équivaut à une isba ou un chalet du Wyoming (=de Savoie, de Norvège, de Suisse). Il expose trois histoires simultanées ("Brand Band News"). C'est un avatar de manuscrit enluminé en trois états sur trois écrans, triple échantillon d'image, mouvement, musique. "Here is the Balad of the Deserters", "Entrance Wind", "Wild Horse non stop Program", "I 'll be your theatre: Tim Bröss, expert in mystery"". La présentation dit : " 'Bullet sisters' a été composé en collaboration avec le frère de l'artiste, Frédéric Rebet, qui interprète la partition". Banjo, combinaison d'instruments de ranch? Une bonne ritournelle. "Je voulais raconter des histoires en une seule chanson. La bande originale était la narration". Des esquisses de plantes embryonnaires se penchent avec la brise, un cheval galope dans un canyon, deux filles en bleu font obéir leurs cheveux coupés carré au souffle sonore, elles ont des chaussettes assorties par paire (une noire, une claire pour chacune), elles se tiennent côte à côte en piquets de bord de route."Brand Band News" est l'une des premières animations de Christine Rebet". Le commentaire mural conte que les soeurs ont été abattues. En quête de résurrection, elles font de l'auto-stop dans l'Ouest américain. Le vent les exauce, il les change en souffle réincarné dans un théâtre de bois, grâce à un ventriloque.
Une seule des six cases contient des tapis de sol, sans banc, ni chaise. On y entre après avoir laissé ses souliers à l'extérieur. Il faut s'asseoir par terre. "Breathe in, Breathe out" (2019) est une animation filmée en HD, son, 7'50. Le commentaire explique: plusieurs voyages en Thaïlande de l'artiste, à Chiang Mai sont à l'origine de l'histoire. Texte extrait des "Métamorphoses" (2020) du philosophe Emanuele Coccia. Un moine descend une montagne pour incarner au passage de "multiples anatomies" animales ou végétales.
"In the Soldier's head" (2015) est projeté dans un cube blanc orné d'un palmier en sang, assis. e sur un banc dans une pièce noire fermée par une porte. La pièce s'illumine d'un écran aveuglant où s'enchaînent des taches roses, rouges, violettes avant l'arrivée du bleu -glacial comme la syntaxe des variations pourpre -... La bande son évoque une route trop fréquentée, des rafales d'explosions. L'animation est inspirée par les cauchemars post-traumatiques du père de l'artiste, qui a fait son service militaire en Algérie. Filmé en 16 mm puis numérisé, son, 4'25".
"Thunderbird", 2018, filmé en 16 mn, ultérieurement numérisé son, 5'40" est une histoire mésopotamienne. Son héros est "l'avatar ailé à tête de lion du dieu Ningisu". Christine Rebet interprète le mythe de l'édification d'une ville remplie de temples, suite au rêve d'un prince. Générique réussi. Fond d'aquarelle orange, couches de pinceau étagées, légères où s'inscrivent une à une des lettres noires chiffrant un à un les mots du texte... "Otolithe" reprend le procédé, sur fond d'aquarelle rose.
"Otolithe" donc, qui figure sur l'affiche de l'expo, n'est pas le bijou mièvre et compliqué annoncé par l'alliage mauve- brun du dessin (un contour d'oeil souligné de pierres arrondies). C'est un reportage politique sur une pratique du Bahreïn, du Koweït, du Qatar "où le commerce de la perle, avant la découvert de réserves de pétrole, dans les années -30, était l'activité la plus rentable pour les capitaines de bateaux et marchands". Marins et plongeurs esclaves d'Afrique de l'Est y risquaient leur vie pour une paie dérisoire. Une pêche aujourd'hui presque disparue mais son souvenir se maintient dans des chants: "diwaniyyas" du Koweït, "dhari" du Bahreïn. "Ces chants traditionnels du Golfe Persique; ou FIJIRI" ont inspiré "Otolithe". Leur "ode au plus ancien joyau du monde" se confond avec la musique du film. Une main noire se hisse vers le jour, en agrippant une corde. Ecrites à l'écran, des invocations- prières: " Oh Dieu/ Nous partons grâce à toi/ Conduis- nous sur les bancs où la fortune dort/ Où les pleurs des émirs reposent dans la nacre". Le film est de 2021, animation en HD, son, 4'04''. Il a été composé ,pour l'exposition.
Christine Rebet est d'origine lyonnaise mais vit à New-York, d'où sans doute ces titres américains. L'intitulé de son expo: "'Escapologie' vient du verbe anglais "to escape" qui signifie "s'évader, s'échapper", dit la présentation générale, dans le hall. L'escapologie est l'art de l'évasion. Nulle mention du mot français "escapade" et de son sens. En dépit de quoi, la présentation de l'art de Christine Rebet se déploie en suivis cartésiens à la française, en dessins préparatoires alignés en variations progressives sur les murs autour des maisonnettes. Ainsi, le visiteur peut s'initier à la technique du genre, à l'histoire de ce qu'on nomme aujourd'hui dixième art - digima-. C'est utile, séduisant, prévenant comme la décomposition d'un doodle irrésistible, au-dessus du cartouche Google ouvert sur votre écran. "Si le dessin est au coeur de sa pratique artistique, c'est l'animation qu'elle choisit comme medium privilégié. Son processus de création consiste à réaliser des milliers de dessins pour reproduire l'illusion du mouvement, ce qu'elle nomme son 'cinéma de papier'. Filmés selon les techniques traditionnelles des débuts de l'animation en 16 ou 35 mm, plus récemment en numérique, les films de C.R. reprennent l'approche stylistique et musicale des premiers dessins animés [...] Elle fait référence aux débuts des séries musicales telles les "Silly Symphonies" de Walt Disney (1929-1939)" qui synchronisent une musique avec l'action à l'écran (texte de Marilou Laurenville, commissaire de l'exposition).
Nulle part, je n'ai vu le nom du concepteur des abris-bunkers-cabanes grâce auxquels les enchaînements graphiques lilliputiens vous transportent comme dans l'ampleur d'un drive-in, dans un spectacle dilaté aux dimensions d'un stade. Christine Rebet peut-être... L'idée est aussi bonne que celle d'une caverne platonicienne. C'est pourquoi malgré le côté dramatique des anecdotes, on ne risque rien à regarder l'expo avec des enfants.