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2019-10-21T21:53:11+02:00

De la Villa Balbianello à la Villa Kerylos

Publié par montanié julie

il y a la distance qui sépare Star Wars ou un James Bond du roman d'Adrien Goetz ("Villa Kerylos") sorti  en poche au printemps 2019 et pourtant...

A la Villa Balbianello, on peut bien sûr acheter de la documentation/ vulgarisation de nature à compléter visite et propos du guide qui vous a accompagné.e dans votre pèlerinage entre jardins et étages, juste après le bateau-taxi... Au rayon librairie dont les vitres donnent sur le lac de Côme... Ainsi "Villa del Balbianello", version française, de Lucia Borromeo Dina, un petit volume publié par le Fondo Ambiante Italiano et "An American Family at Villa Balbianello" de Butler Ames et Pauline Ames Plimpton (1998, rééedition 2018) un récit d'achat de propriétaire. Le plus célèbre ou le plus influent de la série de propriétaires dont la publication du FAI fait l'inventaire. Enumérons:  le cardinal Ange-Marie Durini qui, de 1774 à 1776, a tenu pour l'Eglise le territoire d'Avignon. Il a été remplacé, à Balbianello, par le comte Luigi Poro Lambertenghi, qui a engagé comme précepteur de ses enfants: Silvio Pellico. Lequel a évoqué Balbianello dans "Mes Prisons". Le troisième propriétaire était Giuseppe Arconati Visconti, dont le fils Gian Martino a éprouvé une passion pour l'Orient, c'est-à-dire pour l'Arabie, pour l'Algérie, entreprenant aussi un voyage au Caire et à Suez. Son périple principal, destination Petra, est raconté dans son "Journal de Voyage en Arabie, Pétrée…" publié en 1873. Et caetera, etc...Puis la Marquise Peyrat, qui était française, avec qui Butler Ames trouve un accord, pour réaliser son rêve d'achat d'un lieu si beau, sur une île… Enfin Guido Monzino, dernier maître des lieux … qui, après avoir muni le palais d'aménagements dignes d'un chef d'Etat ou d'un agent secret (armoires à doubles fonds, murs de bibliothèque coulissants débouchant sur l'embarcadère par des boyaux entre les étages, car il craignait à la fois les terroristes, le cambriolage et l'enlèvement) a fait don de son palais à l'Etat italien, ou au Fondo Ambiente Italiano, à sa mort de célibataire sans enfant… Enfin, il en avait un...un Africain adopté, mort très jeune, peut-être des suites d'une éducation sévère quoique généreuse (l'enfant possédait sa propre maison, dans le jardin, où il pouvait se retirer, pour échapper aux foudres de son père). Milliardaire bien sûr, Guido Monzoni dirigeait une chaîne de grands magasins… Et il a exploré le Pôle Nord. Entre 1955 et 1973, vingt et une expéditions, autant d'exploits, en Afrique, au Groenland, aux Andes, dans l'Himalaya…

Rien de plus ravissant que les figurines d'ivoire (dents de morse)  ou os poli installées dans les vitrines, au dernier étage de Balbianello, - artisanat inuit du XXème siècle.-La section "la plus ample est composée d'environ 300 éléments, reçus en don, par des amis du peuple arctique ou directement achetés par l'explorateur milanais". Je me souviens d'un Inuit, campé sur ses jambes écartées, un harpon à la main. Et tous les métiers, toutes les positions prises par ces petits êtres, hommes, femmes, hybrides grimpés sur leurs traîneaux ou s'affairant autour. Jouets pour enfants? Objets de culte/ de souvenir commémorant les occupations de membres du clan pour des Lapons endeuillés, déménagés dès la disparition de leurs proches, plus loin sur la banquise? "Les statuettes représentent pour la plupart des personnages inuits occupés à des tâches et des passe-temps quotidiens: hommes en canoë, chasseurs de phoques, danseurs et musiciens. Nombreuses sont les représentations féminines, reconnaissables par la dentition importante, instrument indispensable pour la préparation des peaux destinées à la confection des vêtements. En sus des représentations anthropomorphes, un groupe de 'Tupilak' est exposé: êtres vivants ET fantaisistes, composés d'éléments humains et zoomorphes, animés d'un esprit malin […]. Des statuettes de phoques, morses, ours, oiseaux et lézards représentent enfin le monde limité animal arctique" (p. 27). L'expédition de 1971 au Pôle Nord a été composée de trente guide inuits, trois cents chiens polaires, vingt-cinq luges, des tonnes de vivres et de matériel... 

Pièces comparables sans doute aux "netsuke" acquis par Charles Ephrussi. Les tribulations de cette collection-là sont racontées dans "Le lièvre aux yeux  d'ambre", de Edmund de Waal (Londres, 2010, traduction fr. de Marina Boraso en 2011 pour Albin Michel, publication en coll. Champs, Flammarion en 2015). Mais c'est une tout autre histoire, tout aussi merveilleuse, commencée à Odessa à l'intérieur d'un"palais aux stucs jaunes", dans la famille de "rois du blé" à laquelle Charles appartient, une famille ambitieuse dont il est le savant et l'amateur d'art/ artiste. Il est collectionneur dans l'âme. "L'appartement de Charles tient de la scène de théâtre. Les objets de sa collection requièrent l'oeil d'un connaisseur et tous parlent de savoir, d'histoire, de lignée et de l'acte même de collectionner" (p.55). L'histoire s'achève en partie à Tokyo où Edmund de Waal retrouve un parent éloigné, lui-même héritier des netsuke de Charles. Charles Ephrussi qui avait vécu à Paris où il s'était pris de passion pour le japonisme, avait aussi pris une maîtresse, qui l'a peut-être incité à collectionner des objets d'art japonais. Des boîtes de laque noire à décoration d'or, pour commencer, sur lesquelles il a même écrit une/ des étude.s. Pourtant non, en dépit de cela, ce n'est pas lui qui a servi de modèle pour le Swann de Proust… En tout cas, les spécialistes ne sont pas d'accord. Même si Painter, un des premiers biographes proustiens le présente comme un être "grossier et barbare", même si Robert de Montesquiou, intime de Proust- le surnomme "le Polonais" (p.454). Même si Odette de Crécy, dans un "Un amour de Swann" reçoit Charles (Swann) en kimono, sur des coussins en soie, parmi des paravents et des lanternes, un décor agrémenté de chrysanthèmes où triomphe le "japonisme olfactif". Pour Charles Ephrussi aussi "le sexe et le Japon sont étroitement liés" (p.68). Par ailleurs bien sûr, Charles (Ephrussi) est reçu chez la Princesse Mathilde, dans les salons de la comtesse Greffulhe et de Madeleine Lemaire, dont Edmund de Waal note qu'ils (les salons) apparaissent dans les essais du jeune Proust. Les netsuke dont Charles Ephrussi va s'éprendre, et qu'il va acquérir sont 264, en tout. Ils sont "agréables au toucher", on peut les "faire rouler entre ses doigts", figures d'animaux, de mendiants et bien d'autres... Une liste descriptive en est proposée:

Un renard en bois aux yeux incrustés

Un serpent lové sur une feuille de lotus en ivoire

Un lièvre en buis et la lune

Un guerrier debout

Une servante endormie

Des enfants jouant avec des masques en ivoire

Des enfants jouant avec des chiots

Des enfants s'amusant avec un masque de samouraï

Des dizaines de rats, en ivoire

Des singes, tigres, cerfs, anguilles et un cheval au galop

Prêtres, acteurs, samouraïs, artisans et une femme se baignant dans un tub en bois….

Et caetera etc....

Dans cette famille faramineuse, au destin saccagé par le nazisme, c'est d'une certaine Elisabeth que Edmund de Waal descend. Elle a étudié à l'université la philosophie, le droit et l'économie, quoique sa vraie passion soit restée d'écrire: ses poèmes envoyés à Rilke sont récompensés de douze longues lettres (p. 289). Ni les "complications de la toilette" ni les objets ne l'intéressaient vraiment, aussi n'a t-elle possédé de bibelot que trois pots à couvercle et un chien en terre cuite chinoise. "En 1924, Elisabeth, première femme à se voir décerner un doctorat en droit par l'université de Vienne" partira pour l'Amérique, grâce à une bourse Rockefeller. Elle épouse un Hollandais, père d'Edmund de Waal qui deviendra céramiste et écrira ce" Lièvre aux yeux d'ambre" paru dans sa version 2011 sous le titre "La mémoire retrouvée". Lui-même, en 1991, a bénéficié d'une bourse nippone - séjour de deux ans à Tokyo- attribuée à sept jeunes Britanniques dont les compétences permettraient "d'inaugurer une nouvelle ère de communication" avec le pays du Soleil Levant. Il y a fréquenté un atelier de céramique et rendu visite une fois par semaine à son grand-oncle Iggie, quatre-vingt- quatre ans, qui conservait sur tout un mur de son salon, en vitrine, les netsuke de Charles Ephrussi (des pièces manquent). Les récits des conversations avec Iggie valent ceux du fils de la cuisinière avec Théodore Reinach dans "La Villa Kerylos" mais je n'ai pas retrouvé l'égratignure du vieux monsieur par le jeune homme en pleine possession de la certitude de son talent, qui m'avait frappée au passage dans le livre d'Adrien Goetz et avait un peu assombri ma lecture de son roman, très axé sur l'évocation d'une gratitude/ rancœur pédagogique et sociale.  

 

 

 

 

 

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