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2016-11-06T22:10:34+01:00

Phrases parallèles

Publié par montanié julie

Impossible de retrouver si la promenade a eu lieu dans le "Jardin de la Politique des Simples" à Suzhou ou  à Luzhi, car mes notes se chevauchent. D'ailleurs, il y a eu plusieurs visites de jardins, partout où nous sommes passés.

Du vert, des arbres, des pierres à perte de vue quoique la vue ne porte pas loin. Les grandes dalles au sol sont usées, adoucies par les pas. Dans les petits étangs à nénuphars et à lotus, on voit nager des poissons énormes. Avait-il commencé de pleuvoir? " C'est bien de visiter les jardins sous la pluie. Car si les feuilles ont de l'eau, une légère brise la change en perles petites ou grandes 'qui tombent sur une cuvette argentée' . C'est poétique, n'est-ce pas? En chinois: 'tazhou 'etc. " Comme le guide détache les syllabes, la musique du vers sonne bien. Il montre un arbre à peine transplanté dont il désigne les tuteurs, le bandage vert brun qui a protégé l'écorce durant le transport. Il nous propose de gravir un monticule. Tout au bout des lotus sortis de l'eau, on aperçoit la pagode de seize mètres, point le plus haut de la ville. " A Suzhou, on n'a pas le droit de construire plus haut. Prenez la photo. Ce sera la plus belle du jardin quoique la pagode ne fasse pas partie du jardin".

Les gens défilent en groupes serrés. Des enfants tenus par la main, adorables et silencieux, yeux grands ouverts, regardent l'eau. L'un qui doit avoir neuf mois, sanglé sur le ventre de son père. Le guide montre des pivoines. La chaleur est extrême. Pépiements d'oiseaux. Les pavillons du jardin sont en bois, les fenêtres sous clayonnage, les tuiles aussi sont en bois.  Un Italien venu ici voir la floraison des pivoines a conçu un parfum "dans le commerce, chez vous".  Il porte un nom: " Pivoine privée? de Suzhou". Les pavillons aux murs ouvragés encadrant des vitres sont merveilleux. Les feuilles de lotus sont très hautes sur l'eau, leurs corolles sont en soucoupe. Le guide évoque à présent un pavillon imprégné de parfum de lotus, avant de nous faire entrer dans " le pavillon des bambous". Pierres poreuses échafaudées que les enfants escaladent. Enfilades de pièces couvertes ouvrant les unes sur les autres. On les enchaîne en avançant sur des voies grises de pierres rectangulaires, additionnées côte à côte comme des briques de Kapla. Un kiosque a des piliers gravés ou peints d'idéogrammes. Ils forment deux phrases à répéter en chinois: " eau montagne maison"," on emprunte la clarté de la lune et la fraîcheur de la brise" dit-il. "C'est écrit là-bas. C'est ce qu'on appelle les 'phrases parallèles'. Attention, ce que vous voyez un peu plus loin incarne la beauté de toues les formes architecturales chinoises". Le jardin sera ensuite traversé à l'intérieur d'un couloir sous toiture. On distingue toujours les énormes lotus entre lesquels passe un poisson rouge long comme deux grosses carpes. Les vitres d'un pavillon sont serties d'autres vitrages bleu marine enserrés dans du métal, comme dans les gasthaus alsaciennes. Un autre a des losanges bleus. Il est flanqué de cages de verre, si bien que les losanges de trois teintes en fait ( du bleu marine au bleu pastel en passant par un mauve très clair) se filtrent les uns les autres. "Le canard mandarin" dit le guide ( nous sommes dans la salle des canards mandarins)"symbolise la fidélité conjugale." Sur une porte de village, à Suzhi, il nous montrera encore " des phrases parallèles".

On n'en trouve pratiquement pas hors de Chine, selon l'article de Hubert Delahaye lu hier sur internet. ( "Les duilian, phrases parallèles et convergentes. Quelques aspects sociologiques", http://www.afec-etudeschinoises.com) . Un bel article, brillant comme un article de Formaliste russe, comme un passage de technique journalistique dans "Numéro zéro" de Umberto Eco. Ces "duilian" dit H.Delahaye " offrent aussi une leçon publique de poésie, à portée pédagogique et intellectuelle".

"Un cri d'oiseau et la montagne est plus profonde" a dit le guide à un moment. Ce devait être une sorte de devinette (réponse: L'écho?).

A quoi ai-je pensé d'autre dans ce jardin? Aux "Amants parallèles" de Vincent Delerm. Il y a de fortes chances pour que ça n'ait aucun rapport.Tout le monde n'est pas Bob Dylan.

 

 

 

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2016-10-22T13:50:49+02:00

Chinois riches

Publié par montanié julie

Le créateur du musée de Suzhou est un "Français très connu: Monsieur Peï, qui a réalisé aussi la Pyramide du Louvre à Paris". Léoh Ming Peï est né à Canton. Il a connu une enfance heureuse dans "un jardin aujourd'hui protégé par l'UNESCO qui avait appartenu à sa famille" . La famille de Monsieur Peï serait très connue pour sa richesse matérielle et spirituelle. Le jardin a été transformé en temple. Monsieur Peï a poursuivi ses études à Shanghaï avant de se rendre aux USA. Il a ajourd'hui 97 ans. Son jardin: un paysage d'eau et de montagnes "constitue sa dernière oeuvre."  Avec son musée, Monsieur Peï a réussi une performance: " le paysage encadré. Chaque fenêtre encadre quelque chose et ce qui est encadré change. Aucune ampoule. Le soleil grimpe, descend sur les murs en fonction de l'heure." Le musée ouvre à neuf heures. En Chine, la visite des musées est gratuite. Voilà pourquoi il faut un quart d'heure de queue avant d'entrer. On se réjouit de ne pas être en hiver. On se réjouit aussi - surtout si on est une femme - d'avoir des pieds entiers chaussés de baskets, comme presque tout le monde, même en Chine. Quelle mesure pour les pieds bandés "de jadis"? Le guide désigne trois mesures croissantes, entre pouce et index. "Trois: nénuphar d'or, quatre:  nénuphar d'argent, pour la taille normale:  nénuphar de fer." Il montrera aussi dans une vitrine les longues manches d'une veste de soie d'impératrice (?). Elles étaient destinées à réchauffer les bras en hiver, comme des manchons, dans une cité où il fait moins douze degrés.

Nombre de commentaires des trois guides tournent autour  de l'opposition: richesse/ pauvreté. Le restaurateur de Pékin chez qui nous avons mangé du canard laqué -  la recette veut qu'on le coupe en 108 morceaux - a connu "une réussite fabuleuse". Son restaurant est visité par des gens du monde entier quand au départ, il vendait dans la rue des "bols de petite nourriture" et de brochettes. Il s'appelle Monsieur Tong. Son unique rêve: posséder un restaurant. Il est aujourd'hui  grand patron de la nouvelle cuisine pékinoise et dirige sa chaîne. Ce resto rappellerait " La Maison de thé " de Lao She. Le guide présente le bouquin comme un roman, mais je trouverai sur le web  - catalogue général de la BnF- cette info: pièce de théâtre en 3 actes, 1957, Editions en Langues étrangères Pékin, représentée en France en 1980, 97 p." Le nom du ou des metteurs en scène est noté  dans la référence mais je n'ai pas identifié celui du traducteur. A Pékin, un prince mangeait/ mange son bol de nouilles à côté d'un Pékinois tout simple, tireur de pousse-pousse. "Pékin, c'est comme ça" dit le guide.

Les effets/ causes du miracle économique - présent ou passé - sont rapportés à la possibilité de voyage. Les Chinois sont les premiers acheteurs de produits de luxe du monde mais s'ils achètent à Paris plus que sur place, c'est que les produits importés sont en Chine 30% plus chers. Sur la Route de la Soie, les Chinois, les Han, ont vendu du thé aux peuples nomades qui mangeaient beaucoup de graisse et devaient la digérer. Ensuite, on passe au jade, puis à... Louis XIV qui  a connu les chinoiseries...  on en arrive aux vêtements qui rétrécissent...  En Chine, on produit une grande quantité de vêtements mais ils rétrécissent au lavage. Cependant, avec l'amélioration du niveau de vie - qui implique le déplacement à l'étranger- les Chinois réclament de la qualité, donc la production s'améliore... On en vient au prix du mètre carré !!!  Un appartement est acheté brut, pas de carrelage, rien, les toilettes: un simple trou. Les acquéreurs paient jusqu'à l'épaisseur des murs. Ceux qui ont acheté avant 2008 sont vraiment contents. Aujourd'hui c'est presque impossible, mais le rêve de tout Chinois reste l'achat d'un appart. On n'est pas pour autant propriétaire à vie ni pour toujours: pour 70 ans seulement. A Xian, le prix du mètre carré=1000 euros. A Pékin=10.000. Il suffit à un Chinois multimillionnaire de vendre son appartement pour sortir à l'étranger. Respirer de l'air pur, surtout ! Et voir le monde...  La corruption, voilà le grand problème chinois. Il y a une énorme différence entre les dirigeants et le peuple. La société est très hiérarchisée. Puis le commentaire de la guide s'attache au mariage! Aujourd'hui, observe-t-elle,  les filles sont très cotées. "Contrairement à ce qui se passait du temps de ma mère, seconde fille de sa famille. Elle pleurait tout le temps. Sa mère a tenté de l'éliminer 'dans le pot de famille'. Mais aujourd'hui, même les veuves sont demandées. Car il faut payer cher le mariage d'un garçon! En ville, on partage les frais. Les parents du garçon achètent l'appartement, les parents de la fille: la voiture. Autrefois, c'était les bicyclettes. Aujourd'hui, l'appartement et la voiture. Sans cela, pas de mariage! Les parents sacrifient beaucoup pour leurs enfants... Quand ils sont vieux, leurs investissements sont remboursés. Certains spéculent. Bien des gens de la classe moyenne ont deux appartements. On achète un appartement dix ans à l'avance. A Xian, depuis 2005, les prix ont triplé. Aujourd'hui ,un appartement coûte des millions de yuans."  Le bénéficiaire de cette grande "mousse immobilière", c'est l'Etat, à qui tout appartient... Les Arabes qui ont construit la Route de la  Soie sont venus à pied, puis en bateau. La communauté musulmane assimilée est issue de Chinois misérables qui ont tenté d'améliorer leur statut en épousant des Arabes ou des Persans, il y a très longtemps... On les appelle Huei. Il est impossible de les distinguer physiquement des Han désormais. Aujourd'hui 98% des Huei sont commerçants, ils arrêtent leurs études très tôt... Contrairement à l'ensemble de la population chinoise qui profite de l'opportunité d'étudier, presque massivement..

Pour finir,  je trouve que cet historique de la richesse, reliée à celui de la vertu, de la corruption, du vice, avant d'aborder à Shanghaï le thème de la guerre de l'opium, incorpore des récits de catastrophes à donner froid dans le dos.... Un accident de train à l'arrêt. Un autre qui arrivait à toute allure est rentré dedans. Plusieurs voitures sont tombées lors de la collision. L'ancien ministre des Chemins de Fer et l'ingénieur chef ont été condamnés à la prison. Car le ministre 1) avait détourné beaucoup d'argent, 2) aimait un peu trop les jolies filles. Ainsi, il aurait favorisé un tournage de film à partir du "Rêve du Pavillon rouge" avec un garçon et douze filles impliqués dans son affaire de moeurs et d'accident... Quant aux Chinois devenus riches en général, il leur arrive de détourner de l'argent en Amérique, au Canada. Et très souvent, ce sont des enfants de fonctionnaires d'Etat...

C'est dire combien un Monsieur Peï, un Monsieur Tong se tirent de ces évocations avec une image exemplaire.  

 

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2016-10-16T14:11:34+02:00

Entendu,vu à Suzhou, un dimanche de juin

Publié par montanié julie

"Suzhou essaie de protéger tous ses ponts mais les maisons d'ici ont été rasées entre 1997 et 1998".Partout, dans les immeubles neufs si on en croit le guide, des cages à vitres bleues riment avec le linge blanc, vert, qui sèche. Une robe bleu roi. Les autobus aussi ont des vitres bleues. Des maisons basses, beaucoup d'échoppes. Ombrelles, parapluies et  un chapeau conique. Petits arbres devant les maisons. Rues pavées. Le chapeau conique coiffait un mendiant secouant sa boîte en métal en marge de la queue qui s'étire face au musée. "Au printemps, beaucoup d'enfants souffrent d'une allergie causée par les platanes. C'est pourquoi on les coupe, pour les remplacer par des camphriers qui poussent vraiment très vite...Leur bois chasse la moisissure, les termites. On en met une boule dans le placard quand on ne possède pas une armoire de palissandre."

Dans la queue, des enfants avec leurs parents. De charmants adolescents très propres, leur bouteille à la main. Des filles, surtout. Pour notre visite au musée nous disposerons de deux heures. Une femme longe la file d'attente. Elle tient un éventail, un chasse-mouche?  Il s'agit d'un cercle d'osier avec manche. Il est tendu de tissu, ou de papier peint d'un paysage. Une jeune fille de la queue en manie un aussi, orné d'un paysage à dominante arborée verte. Une deuxième femme propose des objets en répétant: " kuai", " kuai" (des sous, à vendre).  En France, notre prof nous a appris  qu'il faut toujours marchander, que le prix est à débattre. Dans un guide sur la Chine, j'ai lu, tout à l'heure au réveil, qu'il est honteux de ne pas payer le prix accepté par le Chinois qui vend après marchandage.

Comme la queue avance bien, on voit sous un autre angle les maisons de bois sombres, sur le côté ensoleillé de la rue piétonne. Balcons à claire-voix joliment dessinés. Tuiles de bois. Même les vitres du premier étage (les maisons ne sont guère plus hautes) montrent des pièces de bois ajourées, de même motif que les balcons. Plusieurs maisons ont un rez-de-chaussée de magasin. Une femme plus jeune, environ quarante ans, longe la file, un plateau à la main. Elle essaie d'accrocher une fleur blanche odorante ( du jasmin? ) à un bouton de mon vêtement. La fleur est liée à un anneau de fer. S'extasier ? "Thank you, no! Thank you, yes". Combien donner, payer? Sur le plateau de métal , des bracelets de la même fleur mais en bourgeons, rangés l'un près de l'autre. Ils sont montés sur du fer très fin. Les deux parures éphémères sont proposées à des jeunes filles de passage dans la rue, qui refusent. Artisanat de la misère, des bois, des champs, des vieux, des enfants? Le plateau propose encore des gousses d'osier rangées en piles.  Etuis vides ou contenant à leur tour la fleur blanche à conserver séchée, pour son parfum?

Des soldats ou des policiers avancent dans la rue piétonne. Les uniformes sont noirs, les casquettes sont noires. Leur beauté cuivrée est  mise en valeur par l'uniforme. Entre les omoplates, on voit des lettres chinoises blanches.

Assise sur le bord d'une vasque où s'élève un arbre, une quatrième femme mince, ridée, proprement vêtue, enfile les boutons des fleurs blanches sur du fil de fer. C'est elle qui confectionne de nouveaux bracelets frais. Elle prélève les boutons dans un sachet de plastique et les dispose délicatement dans une boîte transparente. La queue avance à présent d'un bon rythme. Nous la poursuivons sous une tente, avant d'entrer dans le musée.

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2016-09-21T15:57:30+02:00

Orient Hotel Tian à Xian

Publié par montanié julie

Xian by night après un spectacle de danseuses que leur finesse, souplesse, délicatesse, petitesse, grâce, gracilité surtout désigne comme des fées de dessins animés. Impalpables, incassables, imitent-elles la porcelaine? Pourtant elles sont réelles. Les volutes de rubans qui s'enroulent sur scène, et prolongent leurs mains en les cachant, porteraient le nom de 'manches de ramie'. La musique aussi est classique. Tout est magnifique, élégant, varié, éblouissant. Comme les autres dîneurs servis d'un festin de raviolis différents ( dix, vingt sortes? ), nous disposons d'un prospectus indiquant les titres, moments, contenus du spectacle. Je lis et relis - grâce à ma loupe éclairante - pour me convaincre de l'authenticité ethnographique de danses qui sont mime, théâtre, music hall, rituel ? Ici, on peut s'initier à la culture, l'histoire, la scénographie chinoise du passé par l'oreille, la vue. De plus, je vais relire le fascicule. Mais voilà, je l'ai égaré. Oublié ce que j'ai vu.

Pour enchaîner sur le sommeil, l'autocar suit les remparts illuminés par un tracé électrique. Des Ouïgours dansent sur une place. Partout, des gens, des jeunes gens qui marchent, rient, se tiennent par la main, font la fête dans la chaleur et les lumières urbaines. A l'hôtel, au-delà de minuit, j'arracherai une seule page à un petit tas de papier près d'un stylo minuscule, du téléphone qui sonnera à 6h30, petit déjeuner à 7h, départ à 7h50 - en autocar et en groupe -. La chambre est belle, confortable, il s'agit bien sûr d'un palace. La nuit sera très bonne. Sur la table de nuit, un support tient droit un signe interdisant de fumer. Le socle est percé de deux trous maintenant deux feuilles d'arbre ( en plastique? en ortie? ) avec cette observation ( en chinois et en anglais): If you need to change the sheet, please kindly leave this card on the pillow. Let us protect the earth together.

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2016-09-18T17:22:21+02:00

Jade

Publié par montanié julie

" On a découvert des cylindres de jade...Sous la dynastie des Han, on a commencé à enterrer les femmes avec du jade ... Trempé dans du liquide rouge, qui est du cinabre... Dans la civilisation chinoise, le jade est sacré, suprême... Les confucéens portent la pierre de jade comme une pierre de vertu. Ils font ce compliment: 'Vous êtes dur comme le jade, pur comme le jade, sage comme le jade.' Si vous n'avez pas de jade, vous n'êtes pas un homme de qualité."- Plus tard, ce discours de guide énoncera: " un homme mou comme du fromage de tofu"-

"Evoquer le jade, c'est rendre hommage au courage. L'empereur avait des parures de jade. Le jade résonne, il fait une belle musique, un son très joli, très clair. Plus le jade est dur, meilleure est sa qualité. Le jade dur peut rayer le verre. S'il est véritable, il est nuancé, raffiné. On dit à une jolie fille: "Vous êtes pure comme le jade". ' Jade' est un prénom de fille. On se couche sur le jade. Pour sa fraîcheur.
Le jade est un échangeur entre l'humain et la nature. On l'appelle "pierre vivante". Plus on le porte, plus la peau est douce. Le jade produit beaucoup de magnésium. Les Chinois ont une tradition: se coucher sur des oreillers de jade, des matelas de jade. Pour faire baisser le feu, faire baisser le yang.

"Le jade n'est pas seulement vert. Il en existe de toutes les couleurs. Les empereurs se servaient de jade blanc. Le suif de blanc. Aujourd'hui, ça coûte très cher. Il y a aussi du jade marron, du jade noir."

La guide qui parle ainsi se révélera la plus concrète, la plus sociologue des trois accompagnateurs chinois. Comme ses collègues, elle parle français à la perfection (elle l'a étudié à l'Université). Elle racontera qu'elle a eu une fille, une mère enseignante. Elle fera  des digressions sur l'éducation, le statut des femmes en général.

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2016-09-08T10:53:06+02:00

La grande muraille

Publié par montanié julie

Au début de notre balade sur la Grande Muraille, le guide chinois a désigné une stèle: des traits rouges horizontaux plutôt cursifs et flous. "La calligraphie de Mao". Il semble qu'elle était bonne.

Un panneau " Great map of the Great Wall", que je n'ai pas le temps de lire. Sur un chemin de ronde, des affichages en quatre langues: du chinois, deux idiomes asiatiques où surgissent des traits sinoïdes et l'anglais suivant "Cannon". " This cannon was called 'The Mighty general" (...) The manufacture and use of cannons flourished in the Ming Dynasty, with an Artillery Bureau charged with their design and manufacture. Emperor Chengzu of Ming once ordered cannons to be set up along the Great Wall to defend the country against invaders". Je suis montée à peu près d'un trait sur environ cent mètres. Redescendu pour admirer le paysage vraiment très vert, on peut se plier à la demande de jeunes filles chinoises qui arrêtent les étrangers/ ères pour se faire prendre en photos à leurs côtés. Une dame asiatique attrape le cahier où je note , elle regarde en haut, en bas, à droite, à gauche. Elle n'identifie ni la langue, ni les caractères. Elle ne comprend ni mon: " Are you Chinese?", ni mon " Wo shi Faguo ren" mais ça la fait rire. Sur la Grande Muraille, il y a foule, surtout du côté des rampes. Les gens sont bruyants et affectueux. J'ai atteint deux plate-formes. Plusieurs de notre groupe sont parvenus au-delà, où il n'y a plus de touristes. Mais des tours " où on faisait de la fumée pour avertir de l'arrivée des ennemis" a dit le guide chinois, comme le confirme déjà le spathaire Nicolas Milescu, dans son "Voyage en Chine". D'une plate-forme, on distingue les pagodes aux toits de céramique verte, ornés de personnages dont des animaux, peut-être sacrés. Les femmes et jeunes filles asiatiques sont surtout vêtues de robes, de chemisiers tissés de fils qui scintillent, de tuniques sombres serties de fleurs orangées, turquoises, de crêpe qui ne brille pas mais met en valeur un grand papillon. Beaucoup se protègent du soleil par des ombrelles où pendent parfois des breloques d'argent. Les appareils photos sont brandis au bout de piques, genre bâtons de ski, clubs de golf. Ils sont ficelés en hauteur. Ils semblent avoir la taille de petits rectangles photovoltaïques. D'ailleurs s'agit-il d'appareils photos?Vers 16h 05, heure chinoise, je me suis rendue compte que trois ou quatre heures plus tôt, mon portable avait sonné. Il ne fonctionne pas depuis trois jours mais il est programmé pour me réveiller à 8h00, heure française. Une fois achevée mon escalade, j'ai attendu les alpinistes du groupe dans un magasin au pied des premières marches - encore plus dures à franchir en descente qu'en montée, car leur espacement est irrégulier, pour freiner sans doute la course des soldats japonais, mongols etc... porteurs d' armes médiévales -.J'ai acheté trois sortes de magnets figurant la grande Muraille, dont deux sont l'oeuvre de peintres et/ ou calligraphes. Dans les deux cas, la Muraille a les flancs roses: sûrement des amandiers, des cerisiers en fleurs.

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2016-08-26T19:29:40+02:00

Films Lapied à Val d'Isère

Publié par montanié julie

Cette année, l'un des "nouveaux films" est "Zorra, le clan des renards" à l'affiche aussi à La Léchère, Valmorel, Tignes. Il a obtenu quatre prix. L'image est aussi efficace que la première de couverture d'un célèbre album de Tomi Ungerer. Trois renards sont silhouettés par une lune blanche illuminant la nuit gris-bleu. La salle comporte des gradins en hauteur, les sièges veloutés sont bleus à leur tour. Anne Lapied, belle, souple sans ostentation comme toujours, descend les marches avec agilité. Elle présente le trio familial de cinéastes (Anne, Erik, Véronique), leur activité à "ceux qui ne nous connaissent pas" avant de parler des animaux qui les occupent pour leurs tournages. Le film dira qu'elle a découvert sa renarde, baptisée Zorra, sur les hauteurs de son village et qu'en somme, elles se sont mutuellement apprivoisées. " Environ 250 jours de tournage pour 6 années" dans le cas d'un film comme celui-là."On enchaîne tout de suite sur 'Zorra'.On terminera la séance par un court métrage vous montrant comment - Erik et moi - on a filmé ces animaux".

Le deuxième film projeté plus tard dans la soirée a pour titre "Au-dessus des montagnes" et se situe dans la lignée de "Alexandre, fils de berger" parce qu'il a des acteurs, rencontrés lors de tournages précédents dans les Alpes. Comme l'explique le résumé du film, disponible en DVD comme toutes les réalisations Lapied, il s'agit du portrait en paroles, actes, images, gestes, paysages d'un berger philosophe plutôt agréable à regarder. Il reçoit des amis autour de sa table de chalet (un moine à longue barbe venu avec son âne), éduque des apprentis fromagers l'été, a même une fille étudiante qu'on voit se balancer en lisant dans un hamac/ transat...

Le film montre des ciels de nuages aussi stupéfiants de nuit que de jour. De vrais cratères lunaires, des Hiroshimas de l'espace, des alignements de grandes virgules qui ont l'éclat de la perle au-dessus des habituels délires bombés popularisés par la peinture XIXème, ou baroque, ou peut-être hollandaise, italienne, française, bref tous ces plafonds bleus à cumulus qui en sont venus à accaparer une fois pour toutes la seule idée de firmament. Qui a l'idée des images de ciel dans le trio cinéaste? En deuxième partie de cette séance: "Les brebis de mon père". "Nous restons au-dessus du monde avec un court-métrage qui raconte l'épique descente d'un troupeau de moutons pris par la neige en Haute-Maurienne, à 2700 mètres."

"Le cinéma de montagne,c'est un cinéma sportif" a dit Anne Lapied au cours d'une présentation. J'adore les échappées imperceptibles, les incises, sur la vie privée de ces cinéastes, suivis chaque été depuis au moins dix ans avec autant d'intérêt que les champions médailles d'or aux J.O. révélés cette année. Que les observations soient dispensées par touches discrètes, oralement, lors d'une présentation de film par un des trois ( j'ai entendu Erik une seule fois, Véronique: trois ou quatre, Anne, deux fois). Ou dans les films même. C'est une forme de chronique à mon seul usage privé, complétée avec la même lenteur que les images animalières de leurs tournages. Où suis-je allée pêcher que Anne est titulaire d'une licence en lettres? Dans ma seule imagination, où il me semble aussi qu'elle est l'auteure des textes de la plupart de leurs films? Elle joue aussi de la guitare. C'est à elle qu'il faut attribuer le choix des quelques secondes de musique classique - j'ai oublié le nom du compositeur mais c'était d'un lyrisme splendide- à la fin d'un film comme "Zorra". "Ils vivent désormais dans une maison qu'il ont achetée sur le versant italien" a dit Véronique une année. L'un des quatre films présentés cette année à Val d'Isère, précisait que les images avaient été prises en Savoie mais aussi dans " le Grand Paradiso". Il y a quelques années, un film montrait d'abondantes chutes de neige sur cette maison, ce village italien, bloqué plusieurs jours qui avaient dû s'étirer au rythme de plusieurs semaines. Je me souviens de photos cadrant la fenêtre haut placée, un cahier couvert de lignes d'une écriture régulière. Ai-je vu un frigo? Un rayonnage où livres et cahiers tenaient debout? Quels nerfs solides il faut avoir pour tenir immobile des heures, caméra à la main ou simplement muni d'un cahier, d'une radio, tel Sylvain Tesson dans ses forêts de Sibérie, dans des refuges confinés où le cinéma de la nature est tout. "Nous faisons ce métier depuis 38 ans. Nous avons réalisé 40 films (ou une quarantaine)" a dit Anne Lapied lors d'une séance. A la sortie de la salle, la quasi-intégralité des quarante films était exposée sur une table. Ils attendaient évidemment de réintégrer la mallette noire posée sur la table aussi.

"Vous n'avez pas pris le temps de manger" ai-je dit au jeune homme délivrant les tickets, avant la deuxième séance. "On a pris quelque chose" a dit Anne Lapied, pas loin. "Vous dormez dans les stations, quand vous présentez des films?". -"Dans le camion!" - "Oh! la la!" , " -"L'été, ça va, mais l'hiver..."

Si seulement j'étais cinéaste moi-même, pour tourner un documentaire, voire un reportage à vendre sur toutes les chaînes TV d'Europe, sur l'oeuvre et la vie de la famille Lapied...

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2016-06-02T11:39:59+02:00

Zao Wou Ki, Ai Wei Wei et les jardins

Publié par montanié julie

 

Dans son autobiographie de 1988, cosignée avec sa femme Françoise Marquet - "Autoportrait" -, Zao Wou Ki écrit: "jardiner est un passe-temps noble pour un Chinois et me rappelle mon père".

Il dit s'occuper de ses plantes tous les matins, au petit déjeuner. Sa maison, il l'a trouvée en1959, " au fond d'une cour pavée cachée de la rue" non loin de Montparnasse. Tels qu'il les décrit, maison et jardin ressemblent à des recoins de Venise. Quand une porte de rez-de-chaussée s'y entrouvre, le regard est transporté par un paradis ensoleillé placé en hauteur, sur un plateau d'escalier. Une terrasse de balcon en cour intérieure? Au fond de son jardin, Zao Wou Ki a "planté des arbres familiers en Chine comme l'érable ou le bouleau". Peut-être y sont-ils toujours... Sa salle à manger a abrité des orangers, des citronniers et une "orchidée de riz". Il les arrosait tous les matins, après avoir inspecté les feuilles. Dans le jardin extérieur, il avait mis aussi des camélias, des rosiers, des rangées de bambous. "Tout m'invite ici à peindre. L'atelier est une boîte hermétique. Je l'ai voulu ainsi."

Le livre d'interviews de Hans Ulrich Obrist et Ai Wei Wei ("Une conversation", Manuella editions, février 2012 pour la traduction française de Olivier Colette)comporte une seule allusion au jardinage. Ai Wei Wei est resté à New-York, dans les années 1980. Il bricole "dans la clandestinité". Son anglais est mauvais. Pour survivre, il accepte toute activité. "J'ai commencé par du jardinage, du ménage [...] puis un peu de menuiserie, de l'encadrement, j'ai travaillé pour un imprimeur, j'ai exercé toutes sortes de métiers pour survivre, mais en même temps, je savais que j'étais un artiste[...] Mais je n'étais pas très productif. Grâce à Duchamp, j'ai compris qu'être artiste était plus un mode de vie et une attitude que le fait de créer des objets." Plus loin, un promoteur lui demande de l'aider à bâtir une ville en Mongolie inférieure. Si le projet s'est réalisé, deux à trois cents personnes ont travaillé à faire naître du désert une telle ville. La ville de Mongolie a-t-elle déjà des arbres, des fleurs, des plantes. Si oui comment ont-elles poussé? Les jardiniers employés là sont-ils/ ont-ils été chinois?

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2015-07-11T14:02:37+02:00

Graphomane en Dalmatie (extraits de journal)

Publié par montanié julie

Assise dans un café nommé (je recopie le haut imprimé du ticket de caisse): GOSTIONICA 'STARI GRAD'. En grosses lettres: UKUPNO 30,00 KN. La monnaie d'ici, c'est le kuna.

Hier avant le repas de midi, dans la rue, il y avait dans une vitrine des crayons, souples, onctueux, doux, comme on n'en trouve plus en France. Déjà, quand j'étais jeune, je m'étais mis en tête de passer au moins une année en Roumanie communiste à seule fin d'acheter d'extraordinaires cahiers à couverture de plastique blanche, noire, bleue marine, -300 à 400 pages - et de les remplir. Je les avais entrevus en papeterie lors d'un passage à Bucarest. On venait de me voler tous mes bagages (à Sinaïa). Par une canicule de 40°, je disposais d'une paire de pantalons blancs, d'un tee shirt blanc, d'un pull beige, de clarks - les baskets de l'époque - sans socquettes. J'ai battu le pavé de la capitale 8 jours dans cette tenue. Le soir, je plongeais mon linge dans le lavabo. Deux heures plus tard, il était sec. Les trois premiers jours, une merveilleuse dame, professeur au Conservatoire, m'a hébergée. Elle préparait précisément une communication en vue d'un congrès en Yougoslavie et souhaitait que je l'aide à relire son texte car elle trouvait son français trop approximatif. Puis, j'ai dormi en chambre de Cité universitaire. Un Suisse m' y a appris à jouer au pipeau "In einer kleinen Konditorei...". Il m'a aussi copié les paroles allemandes de la chanson sur un bout de papier. Si j'achetais un de ces cahiers à couverture de plastique, j'y raconterais ce qui passe par la tête d'une Française dévalisée, vraiment contente de ne pas se trouver en Inde ou pire, en Amérique du Sud... S'il faut passer des journées à transpirer entre ambassade, domicile de prof au Conservatoire et Cité universitaire dans l'espoir de prouver son identité et de mettre la main sur une copie de son billet de retour, autant être dans un pays où la surveillance policière vous offre au moins la garantie d'être laissée en vie jusqu'à l'interrogatoire...Si je passais un an dans une telle cité mais en automne, la période où il fait frisquet, à coup sûr, je trouverais moyen de rédiger mon chef d'oeuvre. Ce serait facile.Personne à qui adresser la parole. Avant que j'apprenne la langue suffisamment pour perdre deux heures à dialoguer (ou monologuer) il s'écoulerait des siècles. L'année universitaire espérée survenue, j'ai acheté 10 de ces cahiers. C'était en novembre. En juin, à mon départ, 4 seulement seraient remplis. Pour se comporter en écrivain, il ne suffit pas d'être mythomane. il faut que la mythomanie s'éprouve au filtre d'une réelle graphomanie. Cinq à dix pages tous les jours que Dieu fait dès l'âge de treize ou de dix-neuf ans,  qu'il pleuve, qu'il vente. Sans redites! Ou alors de celles qui méritent de porter le nom d'analyse, de mise en perspective, de profondeur.

Il serait temps que je remplisse les 6 cahiers restés vides. Je les ai toujours. A peine jaunis, transférés de rayonnages en rayonnages à travers au moins quinze déménagements.

La guide de ce voyage de groupe - en Dalmatie - s'appelle Inès. Elle est très intéressante à tous égards. 'Le fromage? Ici, le plus réputé est le doux de brebis dit "chpouta" '. Sa grand-mère, ajoute-t-elle, aimait mettre ce fromage doux dans son café. "Pour elle, c'était comme de la crème. Moi, je n'aimais pas ça mais pour ma mère, ma grand-mère, c'était le meilleur des desserts. Comme du gâteau."

Partout dans Rijeka, comme dans Krc où nous étions ce matin: des bornes...Elles interdisent l'accès à une rue par exemple. Leur aspect est celui d' un pain rond, gris, surmonté par la demi-sphère jaune d'une pierre. La pièce d'aménagement municipal imite un oeuf sur le plat.

Sur l'eau de mer, des flotteurs renversés. Ils sont bleu marine. De profil, ce sont des losanges. Tantôt ils sont debout, en position bouchon et tantôt inclinés. Ils jalonnent la surface liquide d'un coin de golfe, semblant fermer une crique d'eau. Ils sont élégants : un rideau de perles sombres. Peut-être fonctionnent-ils comme sens interdit pour les bateaux? Ou simplement comme délimitations des parcs à moules ou huîtres dont a parlé la guide hier? La Méditerranée est la même partout...

Ou seulement la mer? C'est incroyable la quantité de Japonais qu'on peut croiser dans toutes les villes le long de ces côtes... Au point que même la mythologie cinématographique japonaise se voit réverbérée par l'expérience stalinienne dalmate? Ainsi, Goli Otok: l'ile nue. Jusqu'à la fin des années - 70, dit la guide, elle n'était même pas inscrite sur les cartes de géographie de la région. A l'époque de Tito, cette île a servi de camp de concentration où disparaissaient toutes sortes d'opposants au régime, enlevés dans les villes. Ce serait la raison pour laquelle Tito, un "grand homme d'Etat tout de même" n'a jamais obtenu de Nobel.

En vente sur un étal, en bordure du rivage de Split et de la mer turquoise... des plaques creuses de la taille d'un smartphone. Leur surface est constellée, tapissée de cabochons de plastique transparent, ou de verre de toute taille. Ils sont disposés en pointes, en arrondis, en pétales acérés. Ma plaque préférée: un énorme diamant - ou bloc de sel, - entouré d'aiguilles de soleil rose vif.

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2015-02-21T13:14:41+01:00

A partir de l'éléphant de Ramona Bădescu

Publié par montanié julie

L'éléphant est irrésistible. Pensons à Babar.

Le Pomelo de Ramona Bădescu dessiné par Benjamin Chaud est un éléphant rose. Rose délicat comme un visage rose dont le flanc vu de biais est une pommette ocre. De face, c'est encore plus clair, Pomelo n'est que visage. Ses deux gros yeux blancs où roule une même prunelle noire surplombent les deux lunes ocres directement plantées sur deux pieds solides de commode, de table campagnarde. Pomelo doit être un meuble. Un meuble de jardin. D'ailleurs "Pomelo s'en va de l'autre côté du jardin" est le titre d'un album de 2007 au dessin ingénieux qui place Pomelo dans un bocal (légende : "Il a l'impression de voir la vie autrement"), lui fait côtoyer une boîte de conserve ouverte, dont le couvercle sur fond de ciel rayonne en roue dentée ("Pomelo trouve que, décidément, ce nouveau jardin ressemble un peu à l'autre, quelque chose en moins, quelque chose en plus.") Le pourtour de cette roue semble la réplique de la circonférence gris- noire d'un pissenlit rencontré en chemin au début de son périple. L'éléphant rose a quitté le territoire de la vieille tortue Gantok, tricoteuse de tapis en laine rose ocre de même nuance que sa peau. Peut-être ces tricotages auxquels collabore un escargot à lunettes sont-ils des langues chaufferettes sur lesquelles marcher nu-pieds, dans une maison de terre crue. Ils préservent Pomelo de se voir réduit en carpette, piétiné, écrasé, se dit le lecteur attentif aux couleurs, à ce qu'elles révèlent d'un si bon dessinateur et de son auteur scénariste. Si le lecteur en rajoute, pourquoi pas? Pomelo est un paumé qui ne fait rien comme les autres. Il veut quitter son jardin parce qu'il est persuadé que tous se moquent de lui. Tout s'y passe désormais comme "si les fraises n'avaient plus un goût de fraise", " comme s'il était le seul à voir ce qu'il voit"," comme si son concerto pour navets n'intéressait que lui". Car il est compositeur et joue d'instruments fleurs, fruits et légumes. Tout le monde rit quand il parle, "personne ne l'a invité à la fête des topinambours". Il doit avoir de gros complexes moldaves. Car le texte nomme le "Prut": rivière frontière entre République de Moldavie et Roumanie. "Il lui semble bien avoir entendu un petit mot indéfini sur son passage, près des mauvaises herbes. Un petit mot qui commence par P comme "Prout" ou " Pomelo". Le dessin de forêt fleurs en regard du fragment de texte est survolé de mots insectes qui commencent tous par "P": " patapouf", "pachyderme", popotin", pamplemousse", "papa". Ils harcèlent l'éléphant comme le feraient des abeilles.

La trompe de Pomelo aussi est spéciale. On dirait une queue. Sur la première de couverture de "Pomelo grandit" (2010), il s'enroule dedans suivant le schéma d'un cadre aux angles arrondis rappelant les labyrinthes de Hundertwasser. Sur "Pomelo et les contraires"( 2011) , l'éléphant rose est de face. Bien planté sur ses pattes de meuble, il sourit - bouche en arc de cercle- à son double tête en bas, pattes en haut, dont les pommettes lunes ocres surplombent les gros yeux blancs. Les quatre prunelles noires des éléphants inversés font des effets de phare-code, ce qui confère de l'expression à cette idée de convergence oppositive et logique. Les deux trompes s'embouchent au milieu. Elles sont d'ailleurs striées d'anneaux comme le corps des carottes quand on les déterre mûres. Alors, elles suggèrent d'elles-mêmes à un esprit économe respectueux de la nature de se faire couper en rondelles en fonction de leurs renflements. Combiner l'éléphant, associé depuis Babar à l'idée de douche portable, à une notion voisine: celle du tuyau d'arrosage aux méandres de corde d'escalade, de lasso, débouche sur la production d'un nouvel effet de fraîcheur, plus alpin qu'africain en somme, quoique toujours campagnard, toujours petit bourgeois.

Un nouvel album de Ramona Bădescu, illustré cette fois par Bruno Gilbert mais toujours publié chez Albin Michel Jeunesse est intitulé "Ce que je peux porter" (2015). Une phrase m'a franchement intéressée: " Je m'occupe de porter l'EAU , dit la pluie qui rembourrait les nuages de toutes les gouttes qui traînaient par terre." En 2010, Ramona Bădescu avait publié un roman illustré par Aurore Callias. "Tristesse et chèvre- feuille". L'action se déroule en sous-bois, les dessins de logements, escaliers, asiles, anses, abris souterrains pour taupes, hiboux, fourmis, écureuils foisonnent de replis minutieux à ravir. Excellentes aussi les idées de provisions, de jeux de nourritures pareils à ceux qui comblent d'extase les petits anges de "La gaieté", le bouquin de Justine Lévy - feuilleté en gare la semaine dernière- ..." Un pique -nique avec une jolie nappe de feuilles fraîches et une sorte de cake aux crottes de fourmis" (p.37). Ramona Bădescu a d'autres bonnes idées descriptives, narratives, qu'elles soient réalistes ou strictement inverses de la réalité . "Le plus grand des scarabées commença une sorte de poésie, dans une langue inconnue" (p.57). "Les deux amis restèrent ainsi dans la chaleur d'un long silence" (p.18). "La nuit finit dans un battement de cils"(p.38). C'est ce qu'on appelle être poète.

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