Impossible de retrouver si la promenade a eu lieu dans le "Jardin de la Politique des Simples" à Suzhou ou à Luzhi, car mes notes se chevauchent. D'ailleurs, il y a eu plusieurs visites de jardins, partout où nous sommes passés.
Du vert, des arbres, des pierres à perte de vue quoique la vue ne porte pas loin. Les grandes dalles au sol sont usées, adoucies par les pas. Dans les petits étangs à nénuphars et à lotus, on voit nager des poissons énormes. Avait-il commencé de pleuvoir? " C'est bien de visiter les jardins sous la pluie. Car si les feuilles ont de l'eau, une légère brise la change en perles petites ou grandes 'qui tombent sur une cuvette argentée' . C'est poétique, n'est-ce pas? En chinois: 'tazhou 'etc. " Comme le guide détache les syllabes, la musique du vers sonne bien. Il montre un arbre à peine transplanté dont il désigne les tuteurs, le bandage vert brun qui a protégé l'écorce durant le transport. Il nous propose de gravir un monticule. Tout au bout des lotus sortis de l'eau, on aperçoit la pagode de seize mètres, point le plus haut de la ville. " A Suzhou, on n'a pas le droit de construire plus haut. Prenez la photo. Ce sera la plus belle du jardin quoique la pagode ne fasse pas partie du jardin".
Les gens défilent en groupes serrés. Des enfants tenus par la main, adorables et silencieux, yeux grands ouverts, regardent l'eau. L'un qui doit avoir neuf mois, sanglé sur le ventre de son père. Le guide montre des pivoines. La chaleur est extrême. Pépiements d'oiseaux. Les pavillons du jardin sont en bois, les fenêtres sous clayonnage, les tuiles aussi sont en bois. Un Italien venu ici voir la floraison des pivoines a conçu un parfum "dans le commerce, chez vous". Il porte un nom: " Pivoine privée? de Suzhou". Les pavillons aux murs ouvragés encadrant des vitres sont merveilleux. Les feuilles de lotus sont très hautes sur l'eau, leurs corolles sont en soucoupe. Le guide évoque à présent un pavillon imprégné de parfum de lotus, avant de nous faire entrer dans " le pavillon des bambous". Pierres poreuses échafaudées que les enfants escaladent. Enfilades de pièces couvertes ouvrant les unes sur les autres. On les enchaîne en avançant sur des voies grises de pierres rectangulaires, additionnées côte à côte comme des briques de Kapla. Un kiosque a des piliers gravés ou peints d'idéogrammes. Ils forment deux phrases à répéter en chinois: " eau montagne maison"," on emprunte la clarté de la lune et la fraîcheur de la brise" dit-il. "C'est écrit là-bas. C'est ce qu'on appelle les 'phrases parallèles'. Attention, ce que vous voyez un peu plus loin incarne la beauté de toues les formes architecturales chinoises". Le jardin sera ensuite traversé à l'intérieur d'un couloir sous toiture. On distingue toujours les énormes lotus entre lesquels passe un poisson rouge long comme deux grosses carpes. Les vitres d'un pavillon sont serties d'autres vitrages bleu marine enserrés dans du métal, comme dans les gasthaus alsaciennes. Un autre a des losanges bleus. Il est flanqué de cages de verre, si bien que les losanges de trois teintes en fait ( du bleu marine au bleu pastel en passant par un mauve très clair) se filtrent les uns les autres. "Le canard mandarin" dit le guide ( nous sommes dans la salle des canards mandarins)"symbolise la fidélité conjugale." Sur une porte de village, à Suzhi, il nous montrera encore " des phrases parallèles".
On n'en trouve pratiquement pas hors de Chine, selon l'article de Hubert Delahaye lu hier sur internet. ( "Les duilian, phrases parallèles et convergentes. Quelques aspects sociologiques", http://www.afec-etudeschinoises.com) . Un bel article, brillant comme un article de Formaliste russe, comme un passage de technique journalistique dans "Numéro zéro" de Umberto Eco. Ces "duilian" dit H.Delahaye " offrent aussi une leçon publique de poésie, à portée pédagogique et intellectuelle".
"Un cri d'oiseau et la montagne est plus profonde" a dit le guide à un moment. Ce devait être une sorte de devinette (réponse: L'écho?).
A quoi ai-je pensé d'autre dans ce jardin? Aux "Amants parallèles" de Vincent Delerm. Il y a de fortes chances pour que ça n'ait aucun rapport.Tout le monde n'est pas Bob Dylan.